Le port du voile est-il obligatoire pour une musulmane ? Le voile tunisien traditionnel « safsari » peut-il en tenir lieu ? En raison de la carence du ministre tunisien des Affaires religieuses qui peine à trouver les bons arguments à présenter aux islamistes et à leur guide le Sheikh Rachid al-Gannouchi, nous allons essayer de dévoiler les dessous de cette polémique et de décortiquer le discours islamiste sur la question du port du hijab.
En effet, les récentes déclarations du ministre tunisien des Affaires Religieuses au quotidien Assabah (27 décembre 2005) qui font écho à celles du président Ben Ali du 25 juillet 2005 ont révolté le mouvement islamiste tunisien Annahdha sous la plume de son Sheikh Rached al-Ghannouchi qui dans un commentaire publié sur son site web stigmatise les déclarations officielles totalement hostile au port du voile dit « islamique » par les femmes tunisiennes sur le lieu de travail, dans les établissements scolaires et universitaires et même dans les lieux publics.
Répliquant au ministre tunisien aux affaires religieuses ; un ministère qui dénote, à notre sens, de l’implication inadmissible du politique dans la conscience des citoyens et de l’instrumentalisation insupportable par l’État tunisien de la sphère du religieux ; Rashed al-Ghannouchi, évoque pour contre-arguments, deux concepts essentiels à l’adresse du ministre et du président Ben Ali afin de s’opposer à leur vision du port du voile : une violation des libertés individuelles et une atteinte à la déclaration universelle des droits de l’homme. Les valeurs de l’Islam dit Gannouchi représentent des fondements essentiels de la personnalité du peuple tunisien, qu’ils faudrait préserver et en permettre l’application.
D’après le sheikh Gannouchi, les valeurs de l’Islam seraient des valeurs immuables, inchangées et inchangeables, fixes, ne souffrant d’aucun changement ni exception. L’un des fondements essentiels est pour notre sheikh le port d’un couvre-chef par les femmes. Rached Gannouchi se base assurément sur le verset :
« Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qu’en paraît et qu’elles rabattent leurs voiles sur leurs poitrines ; et qu’elles ne montrent leurs atours qu’à leurs maris ou à leurs pères ou à leurs frères ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs maris, ou aux femmes musulmanes ou aux esclaves qu’elles possèdent, ou aux domestiques mâles impuissants, ou aux garçons impubères qui ignorent tout des parties cachées des femmes. Et qu’elles ne frappent pas avec leurs pieds de façon que l’on sache ce qu’elles cachent de leurs parures. Et repentez-vous tous devant Allah, Ô croyants ! afin que vous récoltiez le succès » Sourate 24, verset 31 .
Mais, il fonde sa conviction certainement aussi sur les traditions prophétiques, le hadith, consigné par écrit pour la première fois deux siècles après la mort du prophète, sur la pratique des Compagnons du Prophète, il se réfère aussi aux « Califes bien guidés » et aux jurisconsultes les fameux « fuqahas ».
Dans ce contexte, la vérité historique se mêle à la fiction, la réalité au mensonge délibéré, la manipulation à l’erreur légitime, les coutumes locales et ancestrales aux prescririons religieuses, les fantasmes, à l’ijtihad.
Si notre sheikh a parfaitement le droit de considérer l’Islam et ses valeurs comme la résultante de tous ces phénomènes, nous pourrons considérer de notre part, au nom de la liberté individuelle défendue par notre sheikh que seul le Coran, parole de Dieu révélée à son prophète Mohamed, texte authentique, inaltéré et incontestable recueilli et transcrit de la vie même du Prophète et réuni en un codex vingt ans après la mort de l’envoyé de Dieu constitue une valeur sûre de l’Islam que chaque musulman a le droit d’en interpréter les versets selon ses facultés intellectuelles et son degré de savoir. Le verbe divin n’est le monopole de personne fusse-t-elle une autorité religieuse, un sheikh, un imam ou un mollah. Dans la tradition sunnite, et contrairement à la tradition shiite, pour qui le Coran recèle un sens exotérique et un sens ésotérique que seuls les Imams peuvent déceler, la tradition sunnite considère que Le Coran n’a qu’un sens exotérique et qu’il ne recèle aucun sens caché au croyant, car il est destiné à l’homme, il est intelligible car Dieu souhaite que le Coran soit à la portée des ses facultés mentales. Le livre de Dieu s’adresse à son intelligence, à son entendement, il n’est pas destiné exclusivement à une élite ni aux seuls savants ou lettrés détenteurs de sciences. Tout musulman quelque soit son degré de savoir, son état social, intellectuel, financier est dépositaire du Coran qui lui appartient car il lui est destiné. Personne ne peut le priver d’en faire usage, de le lire à son aise, de l’expliquer de l’interpréter et de chercher le sens des versets et le secret des mots et de faire part de ses réflexions à ses proches ou à son entourage.
Dans ce contexte, il me semble que le seul outil indispensable au croyant pour percer le sens du Coran c’est un dictionnaire historique des concepts et des vocables utilisés par les Arabes au VIIème siècle qui lui permettra de se rapprocher le plus possible du sens originel des mots, du signifié voulu originellement par le Codex coranique. Nous savons en effet que les mots changent de sens à travers l’histoire d’une langue, que des mots nouveaux apparaissent ou sont empruntés à d’autres langues, que d’autres mots sont abandonnés et disparaissent. C’est tout là le problème essentiel du Coran, c’est le sens des mots. Car il est indispensable pour saisir la parole de Dieu, d’interpréter le Coran non par le sens actuel, contemporain des signifiants, c’est à dire des mots, mais par le signifiant premier, le sens donné au mot à l’époque de la révélation du Coran c’est à dire entre l’an 610 de notre ère et l’an 630 année de la mort du prophète et de la fin de la révélation.
Malheureusement nous ne disposons pas, à ma connaissance, d’un dictionnaire étymologique et historique du vocabulaire arabe en usage au Hijaz pour cette période. Les arabes n’ont en effet commencé à rédiger des dictionnaires qu’à partir du second siècle de l’hégire. En deux siècles de vie d’une langue, les mots ont le temps de changer de sens, ou de disparaître entièrement de l’usage. Les lexiques rédigés deux siècles après la mort du Prophète reflètent essentiellement l’état de la langue arabe du temps de la révélation, mais les recherches doivent continuer afin d’arriver à dresser le plus scientifiquement possible l’état du vocabulaire en usage durant la révélation.
A titre d’exemple, le mot « dharrah » que la majorité des musulmans d’aujourd’hui expliquent par atome est un non sens, car c’est une opération intellectuelle tendant à sortir un mot de son contexte historique et lui appliquer un signifié moderne, à savoir le plus petit élément chimique de la matière. Il est donc urgent pour les musulmans d’éditer le Coran avec un lexique donnant le sens des vocables coraniques tels qu’ils étaient compris au VIIeme siècle afin d’éviter de leur donner un sens moderne totalement étranger à l’esprit du Livre Saint.
C’est ainsi que le musulman peut se réapproprier le Coran, le livre Saint que Dieu a destiné à chaque croyant individuellement. Les interprétations « tafsir »que font les jurisconsultes et autres faqihs du Coran n’engagent que leurs auteurs et les musulmans ne sont pas tenus de se conformer à telle ou telle interprétation. Chaque musulman, à condition qu’il sache le sens historique et donc originel des mots arabes utilisés dans le Coran est capable d’interpréter le sens des versets et la portée des prescriptions divines. Le croyant n’a besoin de l’aide d’aucun mujtahid, du secours d’aucun faqih, de l’aide de personne pour comprendre le Coran. Le croyant doit se prendre en charge et arrêter de compter sur les faux et les vrais « mujtahid », les donneurs de leçons, les « Messieurs Je sais tout, vous n’êtes là que pour m’écouter » !!! Le musulman doit se débarrasser de sont esprit d’assisté intellectuel afin d’accéder à l’état de majeur intellectuel, de croyant détenteur de la parole divine et responsable de son interprétation, il doit être à la hauteur de mission que Dieu lui a dévolue.
Comprendre le Coran, l’interpréter, faire des choix de sens, voilà la mission du musulman responsable, digne de la révélation qu’Allah lui adresse, car personne n’est indigne d’interpréter la parole du Seigneur, personne ne peut se substituer à personne pour lui fournir la Vérité sur un plateau en or, le croyant doit faire un effort pour accéder à la parole divine ; cet effort passe tout d’abord par l’apprentissage par cœur du Coran, dans sa totalité, par la saisie des mots inintelligibles dans leur sens premier, historique et non contemporain. Libre à lui par la suite d’interpréter le sens des versets comme bon lui semble sous sa responsabilité personnelle « man ijtahada wa asaba falahu ajrani wa man lam yusib falahu ajrun wahid ».
Prenons le cas du vin, la majorité des musulmans pensent que sa consommation est frappé d’une interdiction absolue. Ma lecture du verset (Sourate 24, verset 31) se rapportant au vin s’annonce différente, car je ne pense pas que le sens donné au verset aille dans le sens d’une interdiction absolue. Le verset dit en effet « le vin, les jeux du hasard rijsun min amali ashaytan fajtanibuh ». Dieu n’a pas dit, comme en matière de consommation de viande de porc, de cadavre, et de tout ce qui n’a pas été sacrifié au nom de Dieu » « il vous est interdit », ici dans le verset Sourate 24, verset 31 l’interdiction est formelle, elle est absolue, c’est comme cela je comprends le sens du verset (Sourate 24, verset 31) , cette interprétation n’engage que ma personne, je suis libre de la propager, libre à ceux qui en ont connaissance de la prendre à leur compte ou de la négliger. D’autres personnes comprendront que toute prescription divine est un ordre obligatoire et absolu. C’est cela la liberté et la responsabilité.
Venons en maintenant au voile, le verset (Sourate 24, verset 31) emploie le mot « qol », dis aux croyantes, Dieu n’a pas dit « kutiba ala annisai », c’est à dire « Je prescris aux femmes de porter le voile » comme il l’a fait pour prescrire le jeûne du mois de Ramadhan. Nous comprenons que s’agissant du port du voile : Dieu a simplement recommandé le port du voile, il ne l’a pas rendu obligatoire, sinon il aurait dit « kutiba ala al-mu’minati ».
C’est finalement aux femmes d’interpréter le sens que Dieu a voulu donner au verbe « qol = dis », personne d’autre n’a le droit de se substituer aux femmes pour leur imposer le port du voile au nom d’une interprétation masculine rigoriste qu’il fait du verset (Sourate 24, verset 31 ) ou d’un fantasme qu’il veut se voir réaliser aux dépens des femmes, de leur liberté de porter la tenue qui leurs semble appropriée.
Toutefois si certaines femmes rejoignent le sheikh Gannouchi dans l’interprétation rigoureuse qu’il se fait du verset relatif au voile, je les invite à réfléchir sur le sens du port du voile à travers le verset. Il faudrait d’abord saisir le sens historique, c’est à dire celui que les Arabes donnaient entre l’an 610 et 630 ap. J. des mots « yadhrib », « khumur » et « juyub ». Ensuite, on doit se demander le but recherché par cette obligation, si elle en est une, du port du voile, ainsi que la portée de cette prescription.
La première démarche dans le long processus de la compréhension de l’intelligence du verset relatif au voile est de se poser des questions. On peut se demander ainsi, quelle partie du corps, Dieu recommande que la femme dissimule au regard d’autrui ? Est-ce les cheveux, est-ce le cou ? Les oreilles sont-elles concernées par cette prescription ? Une femme doit-elle se voiler face à une autre femme ? Une femme doit-elle se voiler face à des hommes qui ne la regardent même pas comme c’est le cas dans les pays développés, industrialisés, chrétiens, occidentaux ? Une autre tenue qui couvre totalement le corps féminin, comme le voile traditionnel, le fameux « safsari », ou la « malya » bédouine toutes les deux tunisiennes, ou la « ‘abaya » portée par les femmes traditionnelles en Orient musulman, ou cette très belle tenue traditionnelle protée par les femmes mauritaniennes, peut-elle remplacer le foulard proprement dit, c’est à dire ce que l’on nomme aujourd’hui le « hijab » ? Que recherche une musulmane en se couvrant la tête et bien sûr tout le corps, éviter aux hommes d’être tentés par ses charmes ? Quid des femmes chauves, des femmes laides, ou des femmes qui n’ont rien d’attirant à dissimuler aux regards indiscrets de la gente masculine ? Doivent-elles se couvrir la tête alors qu’elles ont tout intérêt à se faire belles afin d’attirer un prétendant pour les célibataires d’entre elles ?
Le président Ben Ali n’a pas tort de qualifier le voile dit « islamique » consistant en un fichu ou un double foulards de « tenue confessionnelle ».
Si je souscrit à la thèse de Ben Ali disant le voile « islamique » est une tenue confessionnelle, c’est que, me semble-t-il, pour une femme dont l’interprétation du verset relatif au voile en vient à considérer que son port est absolument obligatoire et que si elle n’observe pas cette prescription l’enfer l’attend le jour du jugement dernier, elle a le choix entre plusieurs autres tenues que le voile proprement dit c’est à dire le hijab ou le foulard pour répondre à l’exigence divine, comme le retour au magnifique safsari tunisien quitte à en modifier un peu l’aspect pour en faciliter le port ou cette ravissante tenue traditionnelle mauritanienne haute en couleurs et couvrant tout le corps féminin de la tête au pieds ; je n’apprécie toutefois pas la abaya du Golfe en raison de la tristesse qu’inspire sa couleur noire.
La femme musulmane, soucieuse de satisfaire Dieu, selon sa propre lecture du Coran a donc le choix. Mais pourquoi certaines d’entre elles s’entêtent-elles à porter le foulard et uniquement le foulard, du Maroc jusqu’en Irak comme seule tunique réellement islamique ??? La réponse ne relève pas du mystère, c’est que derrière la volonté farouche de se tenir exclusivement au foulard comme tenue répondant, selon elles, aux prescriptions divines se cachent le désir insoupçonné d’appartenir à un groupe social et religieux qui a ses codes, ses habitudes et ses signes. Les femmes qui portent le foulard se reconnaissent entre elles, et leurs frères musulmans les reconnaissent, c’est comme les abeilles qui émettent des ultra-sons pour se reconnaître entre elles. Au delà du désir de porter le voile pour satisfaire une exigence divine, ces femmes cherchent en fait une reconnaissance en tant que musulmanes dévotes, appartenant à un groupe donc à une « taifa » qui a ses codes, ses secrets, ses habitudes. Porter le foulard c’est pour elles une invitation aux autres musulmanes de rejoindre le groupe des « islamistes » afin de l’agrandir, ce qui permettra sa survie et d’en faire une force capable de provoquer des changements sociaux et d’assurer sa domination et sa vision de l’Islam sur l’ensemble de la société. Diversifier les tenues musulmanes et en disperser le signal qu’elle émet c’est créer le trouble dans l’image que renvoie cette tenue à la société. L’uniformiser, c’est uniformiser le discours qui s’y attache, c’est uniformiser l’interprétation du Coran et delà uniformiser l‘Islam, qui ne doit pas se diversifier et s’enrichir mais demeurer un bloc soudé autour d’une seule vision du monde. Qui dit uniformisation dit centralisation et surtout centralisation de la réflexion, des idées, entre quelques soit-disant savants musulmans ou mujtahids et autres Sheikhs sincères et d’autres qui le sont beaucoup moins.
Je vous souhaite à tous une très bonne année 2006.
Me Kamel ben Tahar Chaabouni Sfax le 2 janvier 2005
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